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Mes conseils aux voyageurs en Iran

novembre 14, 2020
Maziar Bahari
Lecture de 9 minutes
Dans le documentaire The Treacherous Host, Nizar Zakka décrit la torture dans les prisons iraniennes.
Dans le documentaire The Treacherous Host, Nizar Zakka décrit la torture dans les prisons iraniennes.
L’irano-britannique Nazanin Zaghari-Ratcliffe est otage en Iran depuis 2016.
L’irano-britannique Nazanin Zaghari-Ratcliffe est otage en Iran depuis 2016.
Le vice-ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi échange des politesses avec Kylie Moore-Gilbert à l’aéroport de Téhéran.
Le vice-ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi échange des politesses avec Kylie Moore-Gilbert à l’aéroport de Téhéran.

Vendredi 27 novembre 2020 

La République islamique a deux caractéristiques : la corruption et la brutalité. Il vaudrait mieux l’avoir en tête avant de décider de se rendre en Iran.

L'expression sur le visage de Kylie Moore-Gilbert lors de sa libération en disait long sur le calvaire qu’elle avait vécu en Iran. Dans les minutes précédant son départ, elle semblait en colère, déçue et très fatiguée. Fatiguée de tous les interrogatoires sidérants qu'elle avait dû subir et de tous les mensonges qu'on lui avait demandé de répéter. Elle avait l’air épuisée parce que, j’en suis sûr, ses bourreaux avaient continué à la tourmenter jusqu’à la dernière minute. Ils lui avaient fait savoir qu'ils pourraient facilement l’empêcher de rentrer chez elle. 

La chercheuse anglo-australienne a été libérée le mercredi 25 novembre dans le cadre d'un échange de prisonniers qui a permis le retour en Iran de trois « hommes d'affaires » iraniens. À leur arrivée à Téhéran, les trois hommes – en réalité, des terroristes détenus en Thaïlande après un projet déjoué d’attentat à la bombe en 2012 – ont été chaleureusement accueillis par le vice-ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi. Les trois voyous sont revenus en Iran en héros. À leur arrivée, les diplomates iraniens ont scandé « Que cela facilite le retour du 12ème Imam » (le Messie chiite), les mêmes diplomates, soit dit en passant, qui insistent sur le fait que l’Iran est un régime « normal » et ne doit pas être traité comme un État paria.

Moore-Gilbert, professeur à l'Université de Melbourne, avait  été invitée à donner une conférence en Iran en 2018. Elle pensait y être en sécurité et avait fait preuve de respect et d’un grand intérêt pour le pays, auquel elle consacrait ses travaux. Elle souhaitait partager ces connaissances avec ses collègues et avec le monde. Elle fut accusée d’être un espion israélien.

Comment cela a-t-il pu arriver? Peut-on voyager en Iran en toute sécurité ? Les étrangers peuvent-ils, sans se mettre en danger, aller en Iran à titre professionnel ou en tant que touristes ? Peuvent-ils faire confiance au gouvernement iranien lorsqu'ils sont invités à une conférence ou à un événement? Qu'en est-il des Iraniens qui ont une double nationalité comme Nazanin Zaghari-Ratcliffe, irano-britannique, arrêtée après avoir rendu visite à sa famille en Iran?

« Je pense qu’il faut quand même se rappeler que la plupart du temps tout se passe bien et qu’il y a plein de personnes adorables en Iran », souligne Richard Ratcliffe, le mari de Zaghari-Ratcliffe, qui vit à Londres. « Mais si vous faites partie des malchanceux, alors vous devrez faire en sorte que votre problème devienne aussi celui de votre gouvernement. Quoi que l’on en dise, les intérêts du gouvernement et ceux de la famille ne sont pas les mêmes. Ca n’a rien de personnel. C’est à vous de le rendre personnel ». 

Il semble insensé que des universitaires, comme Moore-Gilbert ou l’irano-française Fariba Adelkhah, qui travaillent sur l'Iran et l'islam chiite quel que soit le gouvernement au pouvoir, puissent devenir la cible de persécutions en Iran. De nombreux pays accordent des subventions à des universitaires étrangers pour étudier leur histoire et leur culture, et ils considèrent ces chercheurs comme des ambassadeurs de leur nation. Mais les universitaires et les membres des organisations caritatives sont devenus des cibles clés de l'appareil de sécurité iranien. Ce que craint par-dessus tout le guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, et ce qui provoque donc nombre de ces détentions, c’est le nofooz, « l’infiltration ». Bien qu'il n’existe pas de réelle définition, légale ou autre, du nofooz, c'est un concept dangereux. Il y a vingt ans, les forces de sécurité iraniennes considéraient les blogs et internet comme des symboles d'infiltration. Des dizaines de blogueurs et de journalistes ont été emprisonnés et torturés simplement parce qu'ils faisaient leur travail. Aujourd’hui, faire des recherches sur l’Iran et partager ses idées avec les milieux universitaires et économiques iraniens peut être considéré comme une infiltration séditieuse.

Une rivalité dangereuse

En Iran comme sous d'autres régimes idéologiques, les accusations pour des crimes abstraits tels que la « sédition » et « l'infiltration » sont fabriquées par des individus et des factions pour arrêter, emprisonner voire tuer leurs rivaux. 

En 2015, Nizar Zakka, un ressortissant libanais résidant aux États-Unis, se rend en Iran pour participer à une conférence sur les femmes et la technologie. Il a été personnellement invité par Shahindokht Molaverdi, à l’époque vice-présidente chargée des femmes et des affaires familiales. Zakka s'est déjà rendu trois fois en Iran à l'invitation du gouvernement. « J'allais en Iran avec beaucoup d'énergie et de bonne volonté », explique Zakka. « C'était vraiment excitant; c'était un marché de 90 millions de personnes. »

Mais Zakka devient pourtant la victime collatérale d'une rivalité entre les gardiens de la révolution et le gouvernement du Président Hassan Rohani. Alors qu'il s'apprête à quitter le pays, il est arrêté sur le chemin de l'aéroport. Sa voiture est interceptée, Zakka est appréhendé et on lui dit qu’il est désormais sous le contrôle des autorités. « Je pensais que les gardiens de la révolution étaient ouverts et souhaitaient trouver un accord avec moi, mais en réalité, ils voulaient décider seul », se souvient-il. 

Zakka a passé quatre ans en prison en Iran. Il y a subi des actes de torture et des humiliations quotidiens. On lui a bandé les yeux, on l’a battu et on l’a maintenu dans un état permanent de désorientation et de confusion. « C’était vraiment très dur, je ne savais jamais à quoi m’attendre », explique-t-il. « Je n’en dormais plus. »

Un an après sa libération, Zakka contacte Mme Molaverdi pour comprendre la raison de son arrestation et pourquoi, alors que c’était elle qui l’avait invité, elle n’avait pas pris sa défense ni cherché à le protéger. Celle-lui lui répond qu’elle n’avait rien pu faire. « Votre sort était entre les mains du système judiciaire et de l’appareil de sécurité. Nous ne savions vraiment pas ce qu’il se passait. Nous ne pouvions pas deviner que cela se produirait », a déclaré Molaverdi lors d'une conversation téléphonique avec Zakka. Cette année, j'ai réalisé un documentaire sur l'expérience de Zakka : je suis encore choqué par le calme et l’insensibilité de Molaverdi. Elle n'a même pas eu la décence de s'excuser auprès de Nizar Zakka.

L’expérience de Zakka et d’autres encore montre clairement que toute personne qui se rend en Iran doit avoir conscience qu’elle peut être victime de cette rivalité interne entre les différentes factions du régime iranien, en particulier entre les gardiens de la révolution et le gouvernement. Les gardiens cherchent à faire pression politiquement sur les autres factions, et n’hésitent pas à se servir d’otages étrangers comme monnaie d'échange.

Le risque de devenir otage en Iran

Kylie Moore-Gilbert a été libérée après « un engagement diplomatique avec le gouvernement iranien », selon les termes du ministère des affaires étrangères australien. Une façon déguisée d’évoquer l’échange de l’universitaire contre trois terroristes.

Avant de quitter l'Iran, le Dr Moore-Gilbert a déclaré: « Je n'ai que du respect, de l'amour et de l'admiration pour la grande nation iranienne et pour le peuple iranien qui est chaleureux, généreux et courageux. »

La plupart des gens qui voyagent en Iran sont marqués par la générosité et l’accueil du peuple iranien. Tous les ans, des milliers de touristes occidentaux se rendent en Iran et rentrent chez eux sains et saufs. Mais chaque visiteur étranger devrait garder en tête le sort réservé à d’autres voyageurs. Et il est vital que les gouvernements étrangers avertissent leurs citoyens des risques encourus. 

Le gouvernement allemand a récemment déconseillé tout voyage inutile en Iran. « Les refus à l'entrée et à la sortie peuvent se produire sans que l’on en connaisse la raison », lit-on dans la notice d’avertissement.  « Les possibilités de recours consulaire sont limitées, voire inexistantes. »Le ministère iranien des affaires étrangères a protesté contre cette mise en garde de l’Allemagne. Mais les familles de ceux qui croupissent dans les prisons iraniennes savent que c’est un sage conseil. 

Gabriella, la fille de Richard et Nazanin, n’a que six ans, et elle espère chaque jour le retour de sa mère. Après l’arrestation de Zaghari-Ratcliffe, Gabriella est restée avec ses grands-parents à Téhéran. La savoir si proche a donné à Zaghari-Ratcliffe la force et la motivation de continuer à se battre. Mais en octobre 2019, Nazanin et Richard ont décidé que Gabriella devait retourner au Royaume-Uni pour vivre avec son père et aller à l’école.

« Hier matin, je pensais qu'il était parfaitement possible que Nazanin soit à la maison pour Noël, ou qu’elle soit soudain condamnée à plusieurs années de prison supplémentaires, ou bien qu’il ne se passe rien pendant quelques temps » a déclaré Richard Ratcliffe depuis leur domicile dans le nord-ouest de Londres au lendemain de la libération de Moore-Gilbert. « Cela reste vrai aujourd'hui : les trois scénarios sont tout à fait plausibles. Nous devons prendre les choses au jour le jour. Et être prêts à nous battre encore, tout en espérant secrètement que ce ne sera pas nécessaire. »

Quatre conseils pour les voyageurs 

En 2009, j'ai été arrêté et torturé alors que j’étais le correspondant du magazine Newsweek en Iran. Je sais ce que c’est que d’être réveillé au milieu de la nuit et emmené dans une salle de torture pour y être frappé et humilié. Alors je demande à tous les gouvernements et à tous ceux qui envisagent d'aller en Iran de prendre en compte les quatre points suivants :

1- Les gouvernements doivent donner des conseils clairs. Leurs avis de voyage sont rédigés dans un langage diplomatique trop prudent, et la plupart des citoyens ne les prennent pas au sérieux. Les ministères des affaires étrangères doivent renforcer leur présence sur les réseaux sociaux, dans les médias iraniens de la diaspora et dans les départements d'études iraniennes en Occident.

2- Les entreprises occidentales opérant en Iran doivent être conscientes des risques encourus par leurs employés et sous-traitants étrangers et iraniens. Le danger peut venir de différentes organisations en Iran, y compris mais pas seulement des gardiens de la révolution, du ministère des renseignements, du pouvoir judiciaire et de certaines fondations en charge des propriétés confisquées.

3- Les hommes et femmes d'affaires qui commercent avec l'Iran doivent être mis en garde avant de se rendre sur place. Ils doivent être informés que le risque d’arrestation et d’emprisonnement les concerne aussi. Les gouvernements doivent s'assurer que leurs citoyens sont conscients de ces dangers. Seules quelques centaines entreprises font du commerce avec l’Iran : informer les personnes concernées ne devrait pas être une tâche insurmontable et il est bien plus facile d’éviter les arrestations que de négocier la libération des otages.

4- Les Iraniens ayant une double nationalité et qui, comme moi-même et quelques autres, ont été libérés ces dernières années, doivent être consultés. Leurs témoignages doivent être partagées avec tous ceux qui projettent de se rendre en Iran.

J'ai eu la chance de surmonter l'épreuve de la prison grâce à l'incroyable mobilisation de ma famille et de mes collègues. Je souhaite au Dr Moore-Gilbert un retour serein à une vie normale en Australie ou quel que soit l’endroit qu’elle choisira. Quant à ceux qui envisagent de se rendre en Iran, rappelez-vous de ces deux mots avant d'acheter vos billets : « corruption et brutalité ».

Maziar Bahari est le fondateur d'IranWire

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