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Une nation trahie : entretien avec Mana Neyestani

janvier 17, 2021
Maziar Bahari
Lecture de 9 minutes
Le dessinateur iranien Mana Neyestani s'est intéressé à la pandémie de Covid-19 en Iran dans son nouveau roman graphique.
Le dessinateur iranien Mana Neyestani s'est intéressé à la pandémie de Covid-19 en Iran dans son nouveau roman graphique.
The Crash, Covid-19 and Other Iranian Stories raconte les évènements qui se sont déroulés début 2020, à travers le regard de quatre personnages fictifs iraniens.
The Crash, Covid-19 and Other Iranian Stories raconte les évènements qui se sont déroulés début 2020, à travers le regard de quatre personnages fictifs iraniens.
Certains personnages sont inspirés de personnes proches de Mana, d'autres représentent des catégories de personnes vulnérables en Iran, comme le personnel médical.
Certains personnages sont inspirés de personnes proches de Mana, d'autres représentent des catégories de personnes vulnérables en Iran, comme le personnel médical.
« Le travail ne détaille pas la vie des personnages, c'est la différence entre une histoire courte et une histoire longue, et ici, l'attention est surtout focalisée sur les situations. » Mana Neyestan
« Le travail ne détaille pas la vie des personnages, c'est la différence entre une histoire courte et une histoire longue, et ici, l'attention est surtout focalisée sur les situations. » Mana Neyestan

Mardi 26 janvier 2021
Téléchargez le livre ici

Le célèbre dessinateur iranien Mana Neyestani a créé un nouveau roman graphique en partenariat avec IranWire. Intitulé The Crash, Covid-19 and Other Iranian Stories en Anglais (l’ouvrage n’a pas encore été publié en Français mais le titre pourrait se traduire par L’accident, le Covid- 19 et autres histoires iraniennes), il revient sur les événements du début de l’année 2020, période marquée une série de tragédies en Iran, dont l’arrivée du coronavirus en Iran et l’accident du vol 752 d'Ukraine International Airlines. Dans cet article, le fondateur d’IranWire, Maziar Bahari, interviewe Mana sur le processus de création du livre et sur la manière dont ses quatre personnages principaux ont été conçus.

Avez-vous déjà pris un coup dans la mâchoire? Les meilleurs dessins de Mana Neyestani me font exactement cet effet. La douleur va de votre cerveau à vos yeux, traverse votre cœur jusqu'à vos tripes, et soudainement, vous avez froid. La beauté tragique de ses dessins vous désarme, blesse vos sentiments. Vous ne les oublierez jamais.

Cette tragédie iranienne, Mana l'a vécue. Le dessinateur a été emprisonné et menacé de peine de mort pour une caricature qu’il avait dessinée en Iran en 2006. Depuis, il vit en exil, d’abord en Malaisie et désormais en France. Mais où qu'il vive, Mana demeure un artiste iranien. Ses dessins vous font ressentir la douleur de son peuple : des Iraniens ordinaires et pacifiques, des artistes, des ouvriers, des enseignants, trahis, brutalisés et retenus en otage par un régime de criminels idéologues.

Depuis novembre 2019, lorsque des centaines de manifestants ont été assassinés par les forces de sécurité iraniennes lors de soulèvements déclenchés par la hausse des prix du carburant, la satire sombre et mordante de Mana s'est dotée d'une force de frappe encore plus grande. Ce mois-là, le gouvernement a également coupé l'accès à Internet durant une semaine afin que les tueurs puissent mener leurs actions en toute impunité. Aucun responsable n'a été traduit en justice pour ces meurtres, mais de nombreux manifestants sont toujours dans le couloir de la mort.

A peine quelques mois plus tard, le 8 janvier 2020, les Gardiens de la révolution ont abattu un avion de ligne de la compagnie Ukrainian Airlines au-dessus de Téhéran, tuant les 176 personnes à bord. Encore une fois, personne n'a encore été jugée pour la mort de ces civils innocents.

L'incapacité de la République islamique à gérer l'épidémie de coronavirus a une fois de plus mis au premier plan tout ce que nous savions sur l'incompétence et la corruption du régime. Le gouvernement affirme que 57 000 personnes sont mortes du Covid-19  en Iran. Nous savons que le véritable chiffre est bien plus élevé, mais quiconque l'affirme en Iran est accusé d’atteinte à la sûreté de l’État.

Le nouveau roman graphique de Mana démarre en février 2020, à une époque où l'État iranien savait qu'une nouvelle maladie avait causé la mort de plusieurs patients en Chine, mais a choisi de ne pas agir pour des raisons politiques et économiques. Les vols entre l'Iran et la Chine se sont poursuivis à un rythme soutenu, des rassemblements de masse ont eu lieu dans les rues pour marquer l'anniversaire de la Révolution islamique le 11 février, et les élections législatives se sont déroulées le 21 février, alors que des dizaines de malades du Covid-19 gisaient à l’hôpital. Ceux qui ont dénoncé les dangers ont été arrêtés et punis. Les premiers décès ont été dissimulés par les forces de sécurité. Lorsque la crise a été officiellement reconnue, il était déjà trop tard.

Le livre de Mana suit le parcours d’un groupe de personnages fictifs, des Iraniens ordinaires, tentant de se frayer un chemin dans les ruines de leur vie et de leur pays. J'ai demandé à Mana comment il avait fait naître ces personnages.

Comment avez-vous créé les personnages de ce roman graphique ?

J'ai pensé qu'il serait intéressant de montrer la vie quotidienne des Iraniens pendant la pandémie en suivant quatre personnages dans l'histoire. Nous voyons un journaliste qui considère qu'il est de son devoir de fournir des informations exactes sur les statistiques de la Covid-19; un écrivain qui croyait à la politique des réformateurs mais qui éprouve une grande déception, voire frustration, à cause des événements récents; un enseignant du Coran qui vit dans la ville de Qom et soutient le régime; et enfin une infirmière, membre de l'un des groupes de la société les plus négligés et les plus soumis à la pression pendant la pandémie.

Racontez-nous l'histoire de ces personnages ?

La vérité est que le contenu du livre n'est pas entièrement dramatisé. L'histoire commence avec l'écrivain, qui a perdu un être cher qui se trouvait à bord du vol 752 d'Ukrainian Airlines, abattu par les Gardiens de la révolution en janvier 2020. Désabusé, il ne veut plus participer à la vie politique. L’accident s'est produit peu de temps avant les élections parlementaires iraniennes de 2020, alors que la télévision d'État multipliait les appels à se rendre aux urnes.

Le personnage de l'écrivain semble être très proche de vous; vous avez également travaillé pour des médias réformateurs et vous avez perdu un être cher dans  cet avion...

Naturellement, l'œuvre ne détaille pas la vie des personnages; c'est la différence entre une histoire courte et une histoire longue, et  ici, on se focalise davantage sur les situations. En tout état de cause, le personnage en question est un romancier ou un auteur réputé. Pour lui, je me suis inspiré non seulement de moi-même, mais aussi d'autres auteurs que je connais et de ceux qui ont été touchés par l'incident de l'avion ukrainien.

Comme votre frère Touka et son fils, dont la fiancée a été tuée ?

Je ne voulais pas les nommer, mais oui, c'est vrai. Mon frère Touka en particulier a beaucoup souffert, et dans toutes les œuvres qu'il a produites au cours de l'année écoulée, on voit une trace de cet avion. Cet événement a également une valeur symbolique dans mon propre travail. Il y a le personnage de l'auteur, et il y a aussi l'avion, qui semble s'écraser dans son esprit.

Le journaliste du livre est-il basé sur le journaliste iranien d'investigation Mohammad Mosaed ?

Oui, Mosaed a été l'une de mes sources d'inspiration pour le personnage du journaliste. J'ai été inspiré par Mosaed et par tous les journalistes en Iran qui ont payé le prix fort pour les révélations qu’ils ont faites. Je me suis également inspiré de Mahmoud Shahriari, qui avait mis en garde la population sur la propagation du coronavirus en Iran, dans des vidéos sur Instagram, et a continué à poser des questions importantes. Shahriari a été arrêté et sanctionné. Le personnage que je décris n'est pas entièrement dérivé de l'un ou de l'autre, ou de tout autre journaliste ou militant des médias, c'est un être fictif qui montre différents aspects de tous ces professionnelss.

Comment avez-vous abordé le personnage de l'infirmière ?

Le personnage de l'infirmière était peut-être l'un des plus éloignés de moi et des plus difficiles. Contrairement aux écrivains, aux journalistes et aux enseignants du coran, je n'ai jamais été en contact avec des infirmières. J'ai également tenté de travailler ce personnage via le prisme d'une femme qui, indépendamment de son métier, agit à l'encontre de l'idéologie dominante de sa société. Certains des slogans idéologiques avaient vocation de rendre hommage au personnel médical en les comparant à des héros de guerre, mais ceux qui scandent ces slogans ne considèrent jamais la fragilité, les épreuves et même le désespoir supportés par les infirmières. J'ai essayé de refléter leur douleur et leur souffrance. Comme d'autres membres de la société, ces infirmières doivent également survivre avec de salaires faibles et dans la pauvreté. Et comme le reste d’entre nous, elles sont juste fatiguées...

Parlez-nous de cet épuisement. Tous ceux à qui je parle ces jours-ci se plaignent d'épuisement professionnel. Il semble qu'au cours de l’année passée, les gens partout, et en particulier le peuple iranien, sont plus frustrés et plus fatigués que jamais.

C'est le résultat d’une accumulation d'événements tragiques, de l'absence d'issue de secours ou d'une chance de respirer, et de l'étouffement de ces quelques petites fenêtres d'espoir. Cette situation n'a pas sortie de nulle part: c'est le résultat de 40 années du régime actuel en Iran.

Jusqu'à il y a 20 ans, je pense que de nombreux Iraniens croyaient à un changement et une réforme positives. Malheureusement, le gouvernement a été impitoyable et n'a pas fait un geste pour répondre à leurs demandes. Pendant les différentes vagues de protestation qui ont eu lieu au cours des 20 dernières années, en 1999, en 2009, en 2018 et 2019, nous avons vu la frustration et la colère des gens. À chaque fois, celle-ci est violemment réprimée et étouffée par le gouvernement, et les fenêtres d'espoir se ferment. Cela crée un sentiment d'épuisement collectif.

Quelle est la principale différence entre cette œuvre et les caricatures qui vous dessinez au quotidien ?

La principale différence entre une caricature et un roman graphique est qu'on dispose de plus de temps et d'espace pour la narration et la création de personnages. Non pas qu'un dessin n'a pas d'histoire, mais la nature de l'histoire d'un dessin ou d'une caricature est entièrement différente de celle de romans graphiques. Dans une caricature, nous avons une case pour raconter une histoire courte et décrire ce qui se passe dans la société. Il n’y a pas assez de temps pour une caractérisation approfondie. Dans une caricature, nous devons présenter tous les personnages dans un seul cadre : à la fois le tueur et la victime. Cela génère parfois des questions, des ambiguïtés et des critiques sur la façon dont un personnage est présenté, négativement ou positivement dans le dessin. Donc, je dois recourir aux stéréotypes. Par exemple, quand je veux faire un dessin sur la chute de l'avion ukrainien, je dois montrer la responsabilité directe des Gardiens de la révolution.

Pensez-vous que vous êtes devenu plus critique à l'égard de la République islamique pendant l’année 2020?

Je pense que les caricatures doivent refléter la situation actuelle dans une réalité socio-politique d'un pays. Naturellement, je n’ai pas d’autre choix que de refléter l’humeur de la population de mon pays. C'est vrai pour tous les caricaturistes politiques de chaque pays. Dans un pays comme les États-Unis, lorsqu'un président arrive au pouvoir et que sa performance est critiquée par le peuple, le ton des caricatures devient aussi plus vif et plus critique. Une caricature est un miroir de la société. Les conditions de vie du dessinateur affectent également la qualité et le style de son œuvre. Je ne suis pas une machine, et dans la situation actuelle, mon humeur et mes perspectives personnelles sont sans aucun doute influencées par des forces négatives. Mais si jamais je sens que de vraies réformes ou des changements et des améliorations sont proposés aux citoyens, je ne fermerai pas non plus les yeux sur une telle évolution.

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