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Qui profite du trafic d’êtres humains en Iran ?

janvier 31, 2021
Aida Ghajar
Lecture de 8 minutes
Des gardes-frontières, des représentants des forces de l’ordre, des fonctionnaires municipaux et des employés du gouvernement profitent du trafic d’êtres humains vers l’Iran.
Des gardes-frontières, des représentants des forces de l’ordre, des fonctionnaires municipaux et des employés du gouvernement profitent du trafic d’êtres humains vers l’Iran.
Ceux qui veulent se rendre en Europe par la Turquie doivent traverser l'Iran, suivant une route illégale empruntée depuis des décennies. Ils doivent payer un droit de passage.
Ceux qui veulent se rendre en Europe par la Turquie doivent traverser l'Iran, suivant une route illégale empruntée depuis des décennies. Ils doivent payer un droit de passage.
En échange de pots-de-vin, des employés de l’Etat leur permettent d’entrer et de circuler sans encombre en Iran.
En échange de pots-de-vin, des employés de l’Etat leur permettent d’entrer et de circuler sans encombre en Iran.

Mercredi 3 février 2021

Tous les ans, un nombre incalculable de personnes risquent leur vie pour traverser clandestinement les frontières orientale et occidentale de l'Iran dans l'espoir d’une vie meilleure. Les droits de ces « immigrants illégaux » ne sont pas protégés en République islamique, et certains employés de l'État iranien profitent de la situation. 

Des gardes-frontières, des représentants des forces de l'ordre, des fonctionnaires municipaux et des employés du gouvernement bénéficient des trafics d’êtres humains vers l'Iran. Ils sont à la fois complices de passeurs et bien placés pour extorquer de l'argent à ces migrants vulnérables et à ceux qui les emploient après leur arrivée en Iran. Le cycle de l'appauvrissement, de la déshumanisation et de la criminalité se poursuit ainsi à un rythme soutenu. 

***

L'article premier de la loi iranienne sur la lutte contre le trafic d’êtres humains en donne la définition suivante : tout acte de transport d’êtres humains d'un endroit à un autre et toute action visant à les cacher, dans l'intention d'encourager « la prostitution, le prélèvement d'organes, l'esclavage et/ou le mariage ». Ce n’est que dans ces conditions que le trafic est considéré comme un crime. 

L'article 4 de la même loi dispose également qu’en plus des peines prescrites, les employés du gouvernement ou des institutions liées au gouvernement seront « suspendus ou licenciés » s'ils commettent un tel crime. Mais en pratique, le sort qui leur est réservé est très différent. 

De nombreux employés de divers services gouvernementaux, fonctionnaires et personnels municipaux, gardes-frontières et agents des forces de l’ordre, sont directement ou indirectement complices de trafic d’êtres humains en Iran. Ils en tirent des bénéfices personnels soit en fermant les yeux, soit en rackettant les immigrants illégaux et ceux qui les emploient après leur installation en Iran. 

Aux frontières orientales, de nombreux migrants afghans ont dit avoir vu des gardes-frontières et des policiers accepter des pots-de-vin en échange d’un droit de passage, d’abord pour rentrer dans le pays, puis pour le traverser. Ceux qui tentent d’aller en Europe par la frontière occidentale observent la même chose de l'autre côté, et ceux qui restent en Iran sont eux aussi contraints de traiter secrètement avec les forces de l'ordre et les fonctionnaires municipaux pour pouvoir travailler. 

Des profits à toutes les étapes

Ces derniers mois, la violence et l’insécurité ont fortement augmenté dans plusieurs villes d’Afghanistan visées par des attaques de talibans au moment où des négociations, soutenues par la République islamique, se tenaient avec le gouvernement. De nombreux journalistes et militants civils et politiques afghans ont dû fuir leur pays et cette vague de départs se poursuit aujourd'hui. 

Ceux qui ont l'intention de se rendre en Europe par la Turquie doivent traverser l'Iran suivant une route illégale pratiquée depuis plusieurs décennies. Les migrants sont d'abord emmenés par des passeurs au Pakistan, puis ils traversent l’Iran en passant par plusieurs villes, jusqu’à la frontière occidentale du pays. D'autres restent en Iran, dans l'espoir de gagner suffisamment d'argent pour vivre confortablement et subvenir aux besoins de leurs familles. 

Un journaliste afghan, arrivé en Iran dix ans plus tôt pour un travail d’ouvrier, a raconté à IranWire que ses passeurs lui avaient dit qu'il voyagerait « plus facilement » - en évitant de longues marches et des chemins dangereux - s'il payait 100 000 tomans de plus que le tarif initial. 

« Je ne sais pas combien ils ont payé les gardes-frontières iraniens », dit-il, « mais quand nous sommes entrés en Iran, à chaque fois que les gardes-frontières arrêtaient le bus, le chauffeur négociait avec eux et leur donnait de l'argent. Ils nous laissaient passer sans fouiller le véhicule. C’était pareil quand nous nous déplacions entre les villes : on aurait dit que les agents de chaque point de contrôle connaissaient le chauffeur. Ils discutaient avec lui, prenaient de l’argent, et nous continuions notre route. »

Selon ce journaliste, les bus qui transportaient illégalement des passagers afghans depuis la ville frontière de Nimrouz jusqu’en Iran – avec la pleine collaboration des gardes-frontières - étaient les mêmes bus que ceux qui ramenaient les migrants afghans expulsés vers leur pays. 

A l’époque où il est entré en Iran, ajoute le journaliste, les chauffeurs remettaient souvent de faux documents aux passagers. Apparemment, cela se faisait aussi en coordination avec la police locale : « A un moment, un policier a arrêté le bus et il nous a dit : ’’Si quelqu'un vous demande si vous avez un passeport, dites oui, on ne vous demandera rien de plus’’. »

Après son arrivée en Iran, le journaliste a été ouvrier du bâtiment pendant plusieurs mois. Puisqu’il n’avait pas de papiers, son employeur est devenu une sorte d’esclavagiste. « Nous étions huit et nous avions toujours peur dans la rue. Nous avions peur que les agents municipaux effectuent des contrôles sur les chantiers. Mais chaque fois qu'ils venaient, ils parlaient au propriétaire, et celui-ci leur versait de l’argent pour chaque ouvrier. À l'époque, les employés municipaux touchaient entre un et 1,5 million de tomans pour chaque travailleur. » 

Le marché des arrestations et expulsions 

D'autres migrants afghans en Iran racontent des histoires similaires. L'un d'eux, un homme de 42 ans qui s'appelle Rostam, est entré clandestinement en Iran trois fois, et a vécu 12 ans dans le pays. Chaque fois qu'il est entré en Iran par la frontière pakistanaise, explique-t-il, la police, les gardes-frontières et les soldats aux points de contrôle ont pris de l'argent aux passeurs. L'un de ses passeurs, dit-il, « était si connu qu'il était accueilli par un salut militaire ». 

Un autre citoyen afghan, Hossein, est arrivé en Iran en 2017 puis est rentré chez lui deux ans plus tard. En Iran, il travaillait dans une usine. « Chaque fois que des représentants du ministère du travail ou des responsables municipaux venaient faire un contrôle, notre employeur leur versait 1,5 million de tomans pour permettre aux Afghans sans papier de continuer à travailler », se souvient-il. 

Hossein raconte qu'il a dû lui-même, et à plusieurs reprises, payer des policiers dans la rue. Une fois, dit-il, il a versé plus de trois millions de tomans pour éviter d'être emmené dans un centre de rétention pour migrants. Mais une autre fois, il a eu moins de chance : les policiers l'ont immédiatement emmené au camp de Sang-e Sefid, d'où il a ensuite été envoyé à Asgarabad, dernière étape avant l'expulsion. Mais là, raconte-t-il : « J'ai expliqué au policier du camp que je travaillais comme ouvrier pour subvenir aux besoins de mes parents. Et je lui ai dit que s’ils me laissaient reprendre mon travail, je leur donnerais un peu d’argent. Le policier a répondu qu'il avait besoin de l'autorisation de son supérieur, alors il m'a emmené voir son chef. Je lui ai proposé la même chose : il a pris l'argent et m’a dit que je serais libéré à la frontière. C'est exactement ce qui s'est passé et je suis retourné travailler. »

Plusieurs autres réfugiés afghans se sont entretenus avec IranWire et ont partagé des récits similaires sur le versement de pots-de-vin à des fonctionnaires, soit pour entrer en Iran, soit pour rester dans le pays. La plupart d’entre eux avaient également l'impression que leurs passeurs étaient en contact direct avec les forces de l'ordre. Un passeur qui s'est entretenu avec IranWire a confirmé cette information. 

La danse des complices

Saïd se présente comme un « transporteur d’êtres humains ». Comme beaucoup de passeurs, il insiste sur le fait qu’il arrive toujours, avec ses cargaisons qui tentent de quitter l'Iran et d'entrer en Turquie à la frontière ouest, à passer facilement et en toute sécurité. IranWire a trouvé ce passeur par l'intermédiaire d'un groupe de demandeurs d'asile afghans et iraniens. L’homme a accepté de s’entretenir avec notre journaliste sous couvert d'anonymat. 

En général, explique-t-il, il paie les gardes-frontières iraniens pour avoir le temps de faire passer sans encombre les points de contrôle à ses voyageurs – on lui accorde parfois des heures, parfois seulement quelques minutes. « J’ai personnellement rencontré certains de ces gardes-frontières », dit-il, « et si un passager paie un montant correct, nous le faisons passer par ces points-là. Je connais les horaires des tours de garde, et j’organise les passages en conséquence. Je paie le montant convenu, et à l’heure dite, le garde-frontière ferme les yeux. En ce moment, par exemple, il quitte son poste pour les prières du matin, et nous avons un quart d'heure pour faire passer le voyageur. »

Certains de ces gardes-frontières, précise-t-il, ont des amis ou des parents dans la région. Il peut être plus facile de coordonner ces mouvements avec eux. Normalement, un pot-de-vin de 10 à 20 millions de tomans [300 à 650 dollars] permet de faire quitter l’Iran à  plusieurs voyageurs illégaux et de garantir qu’ils arrivent jusqu’à la ville de Van, en Turquie. Plus le voyageur paie, plus le trajet est facile à organiser. 

Faire quitter l’Iran clandestinement à une ou plusieurs personnes suppose une organisation complexe mobilisant de nombreux acteurs. Les voyageurs sont transférés d'un groupe de passeurs à l'autre, et les passeurs eux-mêmes comptent sur l'aide de guides locaux et la complicité de plusieurs garde-frontières pour atteindre leur destination. Si les voyageurs ont de la chance, les passeurs et les guides sauront comment gérer les forces de l’ordre, ce qui rendra leur voyage plus sûr. Mais beaucoup ont fait de mauvais choix et ont été arrêtés, battus et parfois même tués par des agents des forces de l'ordre. 

Bien que le trafic  d’êtres humains soit illégal en République islamique, rien n'a été fait pour lutter contre la corruption endémique du système qui lui permet de perdurer. Cette inaction est probablement alimentée par le constat que, dans le contexte actuel, la migration illégale est non seulement inévitable, mais qu’elle est aussi une source de revenus supplémentaires. 

Pendant ce temps, la vie, les biens, la dignité humaine et la sécurité des migrants et des demandeurs d'asile continuent d'être menacés. Et ceux qui tentent de se construire une vie meilleure se retrouvent exploités et transformés en business lucratif.

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