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Ruhollah Zam: journaliste à la vie, à la mort

novembre 25, 2020
Clothilde Pain
Lecture de 8 minutes
Ruhollah Zam: journaliste à la vie, à la mort

JEUDI 10 DECEMBRE 2020

Condamné à mort le 30 juin 2020 pour traitrise et espionnage, le journaliste Ruhollah Zam et sa famille ont fait appel. IranWire a rencontré son avocat parisien, Me Hassan Fereshtyan, début décembre, quelques jours avant que la cour suprême iranienne ne confirme sa sentence.

 

« Tu ne reviendras jamais ! » lance Me Hassan Fereshtyan à son client, le journaliste Ruhollah Zam, ce jeudi 10 octobre 2019. Zam baisse les yeux devant son ainé et celui qui depuis huit ans l’assiste dans toutes ses démarches administratives en France.

Il est aux alentours de midi. Zam qui ne vit plus à Paris depuis plusieurs mois espère convaincre ses deux gardes du corps de le laisser déjeuner avec son avocat et ami dans un restaurant iranien situé non loin du cabinet. « Si je leur dis qu’il s’agit d’un déjeuner de travail, ils me laisseront peut-être y aller» tente-t-il. Mais Fereshtyan n’est pas d’humeur.

Les deux gorilles attendent à l’extérieur du petit bureau que ce rendez-vous confidentiel se termine. A leur arrivée, on leur a offert un café à la machine du bureau, mais seule une bouteille d’eau bien fermée sera tolérée. « Je leur avais proposé de faire un tour de l’étage pour qu’ils repèrent les sorties de secours, mais c’était inutile car ils s’étaient procurés un plan de l’immeuble avant de venir » se souvient-il.

Me Fereshtyan me reçoit le 2 décembre 2020 dans ce même bureau où il vit Ruhollah Zam pour la dernière fois, avant ce voyage en Iraq dont il ne reviendra malheureusement pas.

D’ordinaire calme et réservé, l’avocat ne tient plus en place. « J’ai tapé sur la table, comme ça » me montre-t-il avant de répéter le geste une seconde fois, comme pour insister sur sa prémonition. Il se lève, marche autour du bureau, rejoue la scène.

Le soir où nous nous rencontrons, la sentence de son client n’a pas encore été confirmée – elle ne le sera que quelques jours plus tard, le 8. « Je suis entre l’espoir et le désespoir » me confie-t-il alors, impuissant. La cour suprême iranienne aurait pourtant statué depuis plusieurs semaines mais attend de rendre son verdict public. La raison de cette attente n’est pas claire.

Nous revenons sur ce fameux mois d’octobre 2019 et sur le dernier projet de Ruholla Zam, pour chercher à comprendre.

En septembre 2019, le journaliste et patron d’Amadnews téléphone à Hassan Fereshtyan pour lui annoncer son projet de se rendre en Iraq pour y rencontrer un représentant religieux iranien qui, selon certains journaux, serait lié à l’opposition iranienne. « Il projetait de créer une chaine de télévision et il voulait se rendre à Bagdad pour rencontrer l’Ayatollah Sistani. J’ai rigolé. Il voulait en parler avec moi », poursuit Fereshtyan qui ne prend pas au sérieux la dernière lubie de son client. Si Zam se sentait menacé par le régime iranien jusqu’en France, comment pouvait-il envisager une seule seconde de se rendre aux portes de l’Iran ?

L’Ayatollah Sistani aurait servi d’appât au journaliste.

Ambitions et naïveté

Ruhollah Zam anime depuis plusieurs années le site d’information d’opposition Amadnews, dont l’extension sur le réseau social crypté Telegram est très suivie par la communauté iranienne. Il aurait même joué un rôle particulièrement important dans les manifestations qui ont secoué l’Iran fin 2017, attisant la colère du peuple contre les autorités. Il est dans le collimateur de la république islamique. 

Zam est installé en France depuis 2011. Il y a acquis le statut de réfugié en 2013 mais ne se sent pas protégé pour autant. Au milieu de l’année 2018,  soit quelques mois après la vague contestataire iranienne, Zam ne se sent plus en sécurité. Il confie avoir été convié à une série de rendez-vous mystérieux : il est persuadé que l’on cherche à l’assassiner.

C’est finalement à un commissariat de quartier qu’il se présente pour demander une protection policière. La police française lui rit au nez, mais le rappelle finalement six mois plus tard pour lui suggérer de déménager et met deux agents de sécurité armés à sa disposition.

Pendant ce temps, Amadnews rencontre quelques difficultés. Le nombre de lecteurs diminue un peu. Zam cherche à innover. Une chaine de télévision serait idéale...

Pour rassurer Me Fereshtyan, Zam lui explique qu’il a envoyé une collègue de confiance en éclaireur à Bagdad quinze jours plus tôt. Cette dernière se nomme Shirin Najafi et vit à Istanbul, où Zam et sa famille avaient un temps élu domicile, avant de se réfugier en France. Najafi prétend être à Bagdad et lui envoie des messages régulièrement, encourageant son déplacement. Elle est aujourd’hui soupçonnée par les proches du journaliste d’avoir participé au piège tendu à Zam, comme le raconte cet article du Financial Times publié quelques jours après son arrestation.

Rien ne suffit à rassurer l’avocat qui, impuissant, dit avoir immédiatement « compris le scénario ». Les deux hommes se disent au revoir. Hassan Fereshtyan ne sait pas que son client  a déjà obtenu son visa et prévu d’embarquer pour l’Irak dès le lendemain. Son unique chance de le convaincre d’annuler ce voyage s’envole, sans qu’il ne le sache.  Il ne reverra pas son ami.

Quatre jours plus tard, le 14 octobre, la nouvelle tombe : Ruhollah Zam a été arrêté en Iraq. Sur les images de son arrestation à son arrivée à Bagdad, Zam ne semble pas se douter du sort qui lui est réservé. Les gardiens de la révolution déclarent avoir « rusé » pour le kidnapper, sans donner plus de détails sur les circonstances de son arrestation.

Il est transféré à la prison d’Evin et accusé d’espionnage pour le compte de sept entités différentes dont le FBI, la CIA, le MI6 Anglais et les services de renseignement Français.

Son procès se déroule en février 2020 mais Zam est contraint de choisir un avocat dans une liste définie par le régime.  17 chefs d’accusation pèsent contre lui, parmi lesquels des faits d’ « espionnage pour les services de renseignement israéliens et français, de coopération avec le gouvernement hostile des États-Unis et la participation à la collecte d'informations classifiées dans l'intention de les transmettre à d'autres. »

Zam est également accusé d’avoir organisé des «rassemblements et des complots en vue de commettre des crimes contre la sécurité nationale et internationale, de participation à la persuasion et à la provocation du peuple à la guerre et au massacre, d’avoir encouragé des membres des forces armées à se rebeller, à fuir, à se rendre ou à refuser de faire leur devoir

Le verdict tombe le 30 juin 2020 :le tribunal révolutionnaire de Téhéran a «considéré que 13 chefs d'inculpation [pour lesquels il comparaissait] équivalaient au chef d'accusation 'corruption sur terre' et [avait] donc prononcé la peine de mort».

Le journaliste fait appel. Pendant ce temps, son père Mohammad-Ali Zam, qui a servi dans des gouvernements précédents, remue ciel et terre pour faire libérer son fils.

Une décision semble avoir été prise en octobre mais, étonnement, elle n’est pas rendue publique, plongeant Ruhollah Zam et sa famille dans une attente interminable.

Le 8 décembre, le couperet tombe : «Il y a plus d'un mois, la Cour suprême a statué sur son cas et le verdict du tribunal révolutionnaire a été confirmé», annonce le porte-parole de l'Autorité judiciaire, Gholamhossein Esmaïli. Ruhollah Zam est donc toujours condamné à mort.

L’ONG Amnesty International s’empresse de réagir sur Twitter :  « Le maintien de la condamnation à mort par la Cour suprême iranienne de Ruhollah Zam, journaliste dissident, est une escalade choquante de l'utilisation par l'Iran de la peine de mort comme arme de répression. » L’organisation appelle l’Union Européenne à réagir pour faire annuler cette « cruelle sentence ».

A Paris, Me Fereshtyan se souvient de sa rencontre avec son client. « Il voulait que  je sois l’avocat d’Amadnews, mais j’ai décliné... » Sur son site, Ruhollah Zam s’en prenait à tout le monde, sans épargner les différents courants d’opposition. « Il n’avait plus d’amis », constate Fereshtyan qui regrette l’absence d’une campagne de libération plus active. « Le gouvernement Français a condamné son arrestation. Il ne peut pas le protéger comme citoyens français mais peut le protéger comme réfugié » se désole-t-il.

Lorsqu’il le rencontre en 2012, l’avocat s’attache rapidement à ce jeune trentenaire qu’il décrit comme « courageux, ambitieux, parfois naïf, et plein de cette fougue de la jeunesse ». Il connaît sa famille de réputation, une famille réformiste bien comme il faut en Iran, dont Ruhollah est le mouton noir. Il le prend sous son aile, ne partage pas toujours son avis, mais devient son allié dans les dédales de l’administration française.

Pendant quelques années, Zam vit avec femme et enfant dans une pièce de 13m2 d’un foyer pour migrants, à Paris. Me Fereshtyan sourit amèrement en me montrant la photo du lit superposé de sa fille : comment le régime pouvait-il l’accuser de s’enrichir auprès des services de renseignements étrangers ?

La réalité du quotidien de Zam était toute autre : celle, modeste, d’un immigré banal cherchant à refaire sa vie, tout en se heurtant au racisme institutionnel français. Fereshtyan avait accompagné Ruhollah Zam dans une série de démarches auprès des autorités françaises, pour l’aider à obtenir un logement décent pour sa femme enceinte et le droit d’inscrire son enfant à l’école.

A un moment donné, Zam aurait cherché à se reconvertir dans les affaires, mais ne s’était finalement jamais résolu à mettre Amadnews de côté. C’était sa vie.

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